Engageons le sursaut national

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La musique malgache semble simple et attractive mais lorsqu’on s’y met vraiment, elle est complexe et difficile à comprendre car il y a enchevêtrement de différentes composantes (traduction libre de l’interview https://youtu.be/nsK0Kx0VVoo de jeunes musiciennes allemandes qui ont fait l’effort puis se sont passionnées pour la musique malgache telle que pensée par notre Erick Manana national).

Et il en est ainsi globalement de Madagascar et de son peuple. Simple au premier abord, complexe dès qu’on prend la peine de creuser. Et les étrangers qui l’ont connu (et qui l’aiment au moins un peu) et bien sûr les Malgaches de souche, vivant au pays ou à l’extérieur, mélangent nostalgie et regret sans arriver à comprendre les raisons de la descente aux enfers du pays et de ses hommes. Tout semble normal si on reste dans le superficiel mais tous ceux qui y vivent jour après jour sont plus que désespérés, personnellement et professionnellement.

Il est affligeant de voir ceux qui profitent de l’état actuel énoncer sans vergogne, quelquefois statistiques anonymes à l’appui, que tout va pour le mieux et que tout est relatif. Certains d’entre eux osent même dire que la pauvreté ne se mesure pas en revenu-dollars par jour et qu’on peut être heureux sans ressources matérielles dans un pays plein de ressources naturelles. Il est tout aussi rageant de voir ceux qui, quelques années auparavant, ont profité du système et qui en ont été démis depuis, prétendre qu’ils avaient fait mieux et qu’ils pourraient tout changer par enchantement s’ils reviennent aux affaires.

A Actutana, j’adore vos petites rubriques de 2 ou 3 paragraphes qui me font souvent trop rire. Celles bien choisies sur Air Madagascar, la Jirama, le Président, Mme Claudine etc sont délicieusement écrites. Je partage aussi votre constat du “cenepamafote”. Mais alors, à qui la faute? Et puis, dans l’état des choses, est-ce la question sur laquelle nous devons nous masturber intellectuellement?

J’aime moins quand vous affirmez que le Président Ravalomamana sera le moindre mal au vu de ses performances passées. Je suis déçu quand vos suggestions sont trop simplistes ou compréhensibles seulement par notre « élite de claviéristes ». Mais je ne peux vous en vouloir, bien au contraire, vous faites de votre mieux pour sortir des sentiers battus. Et merci pour l’opportunité de la tribune libre.

Regardez ce que disent nos politiciens, ce que nous suggère ce qu’on appelle la « communauté internationale », ce que disent les « influenceurs » (comme les journalistes ou les associations type SEFAFI) et enfin ce qu’écrivent beaucoup d’entre nous citoyens ordinaires: ils (nous) disent (disons) tous (i) que seules des élections à la régulière légitimeraient les gagnants ; (ii) que nous devons changer de mentalité ; (iii) que c’est à nous et nous seuls les Malgaches que revient de gérer nos problèmes et de décider de notre avenir.

Oui, tout semble si simple si on suit tout ça à la lettre. Et il y a toujours eu des moments plus ou moins long d’euphorie dans l’histoire du pays (post-mai 1972, avènement du socialisme de Ratsiraka, une partie du premier quinquennat de Ravalomanana) où l’on a essayé de bien faire. Mais face aux réalités, despotisme, égoïsme et orgueil mal placé ont par la suite pris violemment le dessus. Il suffit de se rendre à l’évidence que les 3 favoris à la prochaine présidentielle ont chacun leur(s) propre(s) financeur(s) et vont promettre à certains lobbies amis qu’ils ne seront pas inquiétés, voire qu’ils seront favorisés. Et alors, même s’il y a élections propres, rendez-vous à la prochaine crise à moins que celle-ci ne se transforme en dictature ou en guerre civile.

D’un côté, j’invite ceux qui n’ont pas encore lu ou cherché à comprendre le message du livre « L’énigme et le paradoxe » de Razafindrakoto-Roubaud-Wachsberger (IRD Editions/AFD ; Collection : Synthèses, 2017) à le faire. En quelques mots, ce livre confirme que notre système de gouvernance et notre culture conduiront toujours ceux qui nous dirigent à perpétuer, volontairement ou malgré eux, une approche conflictuelle entre clans ou groupes se formant au gré des circonstances.

De l’autre, j’ai inventorié dans le temps et dans l’espace tout ce qui s’est écrit, que ce soit par les plus sincères ou par les plus « intellectuellement malhonnêtes »: ces écrits disent toujours « untel ou tel groupe ou telles décisions de celui-ci ou l’attitude de celui-là sont les raisons de cette mauvaise situation ». Mais aucun, vraiment aucun ne dit : “la situation est intenable, unissons-nous, entraidons-nous, pensons à ce que nous laisserons comme héritage, montrons au monde entier que nous sommes aussi endémiques dans notre façon de lutter contre l’adversité que les espèces naturelles qui peuplent notre île” et cela que nous soyons hommes ou femmes, jeunes ou vieux, éduqués ou non, des hauts-plateaux ou des côtes, habitants au pays ou diaspora, de gauche ou de droite, nationaliste ou ouvert sur le monde, malgache de souche ou simplement amoureux du pays.

Quels messages je souhaiterai passer à travers votre tribune aujourd’hui ? Surtout après les décisions de la HCC qui illustrent une fois de plus ce que je disais au tout début : simples si on accepte que cette Cour a fait de son mieux pour ménager la chèvre et le chou, complexes lorsqu’on se pose les vraies questions sur leur faisabilité ?

Nous, peuple de base de non-politiciens et de « non-influenceurs » (quoique certains d’entre nous i.e. les claviéristes, sommes devenus spécialistes de grandes « théories du changement »), devons avec les membres de la « vraie » société civile, déclencher la guerre contre la fatalité. Qu’est-ce que cela veut dire?

Les pouvoirs et contre-pouvoirs, l’exécutif et le législatif, l’allocation de l’argent public et l’audit de sa gestion, les forces de l’ordre et le système judiciaire, la liberté d’entreprendre et le respect de la réglementation des affaires etc coexistent dans un système démocratique. A travers le monde, il y a des abus que ce soit dans les pays riches (un peu moins) ou dans les pays pauvres (un peu plus). Mais chez nous, à Madagascar, on ne peut plus se payer le luxe de perdre notre temps dans des guerres de « partage des sièges ».

Aussi, faisons simple : pour les 6 prochaines années, suspendons la constitution actuelle et exigeons un partage intelligent de ces sièges en mettant en place des rotations de telle sorte qu’un « décideur » pour un temps devienne ensuite « contrôleur » à un autre moment et vice-versa.

Par exemple, si un faisant office de Président de la République et son parti (ou groupe de partis) A formeront l’exécutif pendant 2 ans, un faisant office de Président de l’Assemblée Nationale et son parti B domineront l’appareil législatif au même moment tandis qu’un faisant office de Président du Sénat et son parti C, s’octroieraient au nom des régions et des collectivités décentralisées les missions de contrôle et d’application de la bonne gouvernance. Et ils tourneront une première fois puis une seconde fois de telle sorte que chaque groupe aura occupé toutes les positions pendant 6 ans.

Puis que les membres politisés des forces de l’ordre, de l’armée et de l’appareil judiciaire démissionnent ou se mettent en réserve afin d’assurer l’indépendance de ces piliers du système démocratique. Puis que tous les marchés publics ou d’attributions de business soient supervisés par des institutions étrangères spécialisées de réputation mondiale et sans intervention d’une quelconque entité « politisée » malgache. Enfin, qu’un conseil de citoyens apolitiques composé de représentants de la société civile permettrait à toutes les composantes de la société d’évaluer les réalisations de ces gouvernants.

En même temps, on formera graduellement toute la population aux enjeux politiques et démocratiques et on la sensibilisera à ses droits et ses devoirs avec comme apothéose les premières élections locales (type fokonolona) suivies d’élections régionales puis sénatoriales afin qu’au bout de la 6eme année, on puisse tenir des élections présidentielles et législatives propres conformes avec la constitution actuelle qu’on remettrait en marche.

En effet, malgré ses imperfections qu’on pourrait corriger à la marge, cette constitution devrait permettre d’éviter un régime présidentiel “à la francaise” qui, à mon avis, n’est pas fait pour les élus des états africains francophones qui dérivent vite vers la dictature et la gabegie. Si toutes les composantes de la société malgache veulent sauver le pays, elles pourront négocier avec la HCC un mode de fonctionnement et d’intervention de cette dernière qui garantirait que l’esprit de cette constitution soit respecté jusqu’à son rétablissement.

Exclure un clan est le plus grand risque de la démocratie malgache. Le « partage des sièges » sans contrôle ou contre-pouvoir n’est pas non plus acceptable. Apprendre à vivre harmonieusement et dans l’amour, comme le disent les religions chrétiennes qui façonnent les Malgaches, c’est ce qu’il faut commencer à mettre en pratique par tous ceux qui aiment Madagascar. Enfin, sensibiliser graduellement tous ceux qui n’ont jamais été informés correctement de leurs droits et devoirs, et apprendre la bonne gouvernance dans les services publics et dans la conduite des affaires, devraient aboutir à un retour à la normale, voire à faire de Madagascar un exemple à suivre. Encourager ainsi certains donateurs de préférence privés à octroyer des supports sociaux massifs à une population globalement en déshérence. Laisser enfin travailler ceux qui sont déjà à l’avant-garde (digitalisation, énergies renouvelables portables, financiarisation de masse,  éthique et durabilité, adaptation aux impacts du changement climatique etc) afin que le pays et les Malgaches soient au diapason d’un monde qui bouge. Engageons maintenant le sursaut national.

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elman
Administrateur
5 années il y a

Partage des seza entre A et B avec rotation ça change quoi si A et B sont pourris jusqu’à la moelle ?

C’est angelikamada qui a raison : faut les envoyer sur une ile déserte, encerclée par des vrais requins.

Sinon merci pour cette tribune qui n’en demeure pas moins pertinente.

Rangita
Rangita
5 années il y a

Nous ne pouvons plus continuer à mener, dans notre pays, dans nos régions, une politique basée sur l’aide des Occidentaux, de l’Europe, de l’Union européenne ou de la France.

Cela n’a pas marché, ça ne marche pas et ça ne marchera pas !

Il est de notre responsabilité de trouver des moyens pour développer notre nation par nous-mêmes. Ce n’est pas juste qu’un pays comme Madagasikara, 60 ans après son indépendance, continue à définir son budget de l’éducation et de la santé sur la base des financements provenant du contribuable européen.

Nous pouvons le faire si nous avons la mentalité adéquate.

elman
Administrateur
Répondre à  Rangita
5 années il y a

Y avait le petit laitier qui a essayé, il s’est vite fait rattraper par la masse 🙂

Rangita
Rangita
Répondre à  elman
5 années il y a

“masse” de quoi?

elman
Administrateur
Répondre à  Rangita
5 années il y a

..euh.. de foza orana ?

Rangita
Rangita
Répondre à  elman
5 années il y a

Les fou-za n’ont pas constitué une masse.
Il y avait un colonel (Charlie), veuf (qui n’en avait plus rien à foutre), qui a entraîné ses potes dans une mutinerie.

elman
Administrateur
Répondre à  Rangita
5 années il y a

Y a pas eu de recensement officiel donc on peut pas estimer le nombre 🙂

Rangita
Rangita
Répondre à  elman
5 années il y a

À partir de combien de personnes peut-on considérer que c’est une masse?

mpijery
mpijery
Répondre à  Rangita
5 années il y a

De toute façon, peu importe car il n’y a pas eu non plus de contre-manifestants pour les faire face. Enfin, il y en a eu mais bien trop tard (après le 17 mars). Il faut dire que ce coup d’état était bien ficelé dès le départ (médias et militaires dans le coup)

mpijery
mpijery
5 années il y a

à première vue, ce que vous exposez est une très bonne idée, mais en creusant un peu 🙂 ce sera impossible à mettre en oeuvre:
– ça demanderait un très large consensus alors que le système actuel que vous voulez changer convient très bien à ceux qui en profitent alors que ce sont justement eux qui ont le pouvoir de mettre en oeuvre ce changement.
Toutefois, je suis d’accord sur le principe de changer le système mais qui ne devrait pas être fondamentalement différent de ce qu’il y a. Il faut juste élire – dans un premier temps – un dirigeant qui a suffisamment de poigne pour imposer quelques choses (la fameuse dictature éclairée). Ce n’est pas l’idéal mais nous n’avons plus le choix

Ralek
5 années il y a

Merci pour ce partage.
Effectivement, de premier abord ça m’a l’air bien. En tout cas, je suis entièrement d’accord sur la partie sensibilisation et implication de la population.
Connaissant les gasy, la rotation des rôles, à mon avis n’est pas adapté.
On fait quoi si A récupère les erreurs de B? On fait quoi si B abuse un peu et ne veut pas partir?
Bref, il faut faire un sacré boulot en amont pour en arriver là.
Notre île est très vaste et chaque région est encore un peu trop “indépendante”.
On peut dire ce qu’on veut mais le poid de nos origines ethniques pèse encore beaucoup.
Une tribune libre a été abordée par Vzmb pour ça.
Là où je veux en venir c’est que parfois, l’origine ethnique est un motif de refus consensus pour certains.

elman
Administrateur
Répondre à  Ralek
5 années il y a

La terre d’avenir qui le restera donc.

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